Ou lettres à tous ceux qui savent dans quelle direction vont les balles quand elles rebondissent!
Cette nuit j'ai fait un rêve, un rêve ou un cauchemar en fait je ne sais pas! En tous cas un rêve qui m'a fait me lever au beau milieu de la nuit pour prendre un de ces carnets resté vierge de mots jusqu'alors..j'ai toujours eu un faible pour les carnets en manque de mots. Carnets à spirales, carnets reliés ou carnets cousus..
Un rêve ou un cauchemar donc qui se dénouait comme les fils des mots écrits sur mes toiles. Des mots venus du fin fond de la nuit, des mots qui une fois déliés étaient la corde qui aidait un petit garçon inconnu de moi à gravir peu à peu la route escarpée de sa vie.
Il était une fois donc un petit garçon timide, timide à ne même pas oser demander une brioche à la pâtissière et qui serrait dans sa main son petit franc très très fort, tellement fort que ce petit franc en arrivait à lui pénétrer dans la chair ou tout au moins avait il l'impression d'en ressentir la souffrance.. Il ne pouvait sortir un mot! Et pourtant il en avait des mots! Des mots bleus, des mots rouges, des mots jaunes et des mots multicolores et il en avait envie de cette brioche toute belle et dorée dont le goût beurré pouvait se sentir rien qu'à sa couleur. Toujours une histoire de mots et de couleurs!
Savait-il alors que sa vie serait jalonnée de mots et de couleurs?
Ce petit garçon si timide et si sauvage qui ne comprenait pas bien ce que les autres disaient avec leurs mots à eux qui n'étaient pas les siens avait cependant réussi à faire croire à tout un chacun que les mots ainsi que les jeux des autres pouvaient aussi être les siens même si il avait déjà compris du haut de ses trois années passées sur terre qu'il n'en serait jamais rien et qu'il lui faudrait toujours composer.
De jours en jours les choses se passaient plutôt bien et parfois il comprenait qu'il faudrait vivre tant bien que mal dans les cris et les balles qui ne vont jamais dans la direction à laquelle il s'attendait qu'elles aillent quand elles rebondissent.
Pas assez concentré le petit garçon!
Puis petit à petit est arrivé le jour qui a bouleversé sa vie. Sa vie de petit garçon qui voudrait toujours jouer avec son destin!
C'est ce jour là qu'on a posé devant lui une assiette de terre cuite!
Une jolie assiette de terre cuite, bien ronde, bien lisse, belle et joufflue comme la tendresse!
Rien ne pouvait lui laisser supposer de prime abord que sa terre venait du feu et qu'on n'oublie jamais ses origines
Il fallait à priori transformer cet objet en cadeau......Le petit garçon passa alors des heures à scruter cette assiette qui lui semblait déjà être en soi une offrande parfaite car imaginez donc le chemin parcouru pour choisir un morceau de terre parfaitement adapté à la transformation puis le malaxer, le modeler, le faire sécher, le cuire à la température exacte pour finalement arriver à cet objet rond, lisse et entre ses mains!
Il en était là de ses réflexions alors que les autres déjà s'agitaient, vociféraient, criaient et il réalisa une fois de plus qu'il aurait décidément beaucoup de mal à les comprendre car lui, voulait faire quelque chose de différent: il voulait raconter en couleurs, ses mots à lui!......encore une histoire de mots et de couleurs!
Il se lança finalement avec beaucoup de concentration dans un sujet somme toute assez banal. Il commença à dessiner sa maison. Enfin pas sa vraie maison à lui mais une maison de petit garçon, Une maison au bout d'un chemin avec un jardin et un bel arbre et puis la lumière qu'on apercevait par les fenêtres comme une promesse de bonheur et de chaleur....et puis une chose en entrainant une autre il fit sortir de la fumée par la cheminée et puis il se dit dans sa tête de petit garçon que si la lumière est allumée c'est que c'est la nuit et alors son pinceau trempé dans la peinture noire fit disparaitre tout dans cette nuit profonde!
Car enfin faites un effort de réflexion! C'était la nuit et la nuit on ne voit pas que derrière le noir il y a des maisons qui vivent avec des cheminées qui fument, des chemins, des arbres et des petits garçons qui mangent des brioches dorées toutes chaudes qu'ils ont convoité chez la pâtissière!...Mais personne n'a voulu faire cet effort de réflexion alors on cacha son assiette et sa jolie histoire et on exposa toutes celles des autres...ceux qui savent dans quelles directions vont les balles quand elles rebondissent.
Il comprit très vite aux gestes et aux regards pleins de sous entendus que la première règle à s'imposer pour leur faire croire qu'il savait aussi dans quelle direction iraient dorénavant les balles quand elles rebondiront était de ne plus jamais dessiner ou peindre! Il fallait garder en soi ses couleurs et ses mots. Puis le petit garçon grandit, grandit mais personne ne voyait qu'à l'intérieur il était encore petit et il continuait à garder gravé au plus profond de lui sa promesse de ne plus jamais toucher aux mots et aux couleurs alors dans le noir de la nuit le petit garçon devenu grand faisait des dessins dans sa tête avec des couleurs magiques prises sur des oiseaux de feu et puis des mots, des mots tellement beaux qu'il n'était même pas possible de les écrire le jour venu...et puis comme ça le petit garçon devenu grand ou le grand garçon resté petit a réussi à faire croire que... Et il a travaillé dans de grandes entreprises et il a dit qu'il aimait les cris et aussi qu'il savait dans quelle direction vont les balles quand elles rebondissent mais le grand garçon n'était pas heureux!!!
Le grand garçon en cachette de lui même se dit qu'il pouvait peut être quand même essayer de restaurer les couleurs déjà posées par d'autres et alors tenter de jouer avec son destin. Frénétiquement il découvrit sur de vieux meubles des bleus fanés, des verts affadis par les intempéries au jardin, des jaunes brûlés par le soleil et pendant des heures, des jours et même des années il recréa ces tons par des mélanges de pigments, de tubes de couleurs, des médiums et du fixatif...les yeux du grand garçon commençaient à s'ouvrir! Il était heureux quand il avait à la main des outils au nom de bonheur: martre, putois, spalter....Puis il apprit à faire vivre l'or, à préparer l'assiette avec un mélange de terre d'Arménie et de colle de peau de lapin qu'il faisait tiédir avec des gestes précis et tendres. Il prit grand plaisir à caresser la feuille avec la pierre d'agate pour lui donner des brunis étincelants. Peu à peu il se rendit compte que s'il disait à tous que ce n'était qu'un jeu il pouvait sans risque aucun jouer avec la couleur et alors peu à peu il s'est approché de la toile et pourtant il en avait peur depuis si longtemps de ce bout de lin!
Il avait fallu quarante années pour que le petit garçon puisse de nouveau se frotter aux couleurs qu'il ne pouvait cependant poser qu'accompagnées de mots comme pour les calmer ou leur faire comprendre qu'ensemble ils pouvaient affronter le monde extérieur sans véritable crainte..Les mots se mélangèrent à ses couleurs et les couleurs à ses maux! Ses toiles se couvrirent alors de plus en plus de couleurs et de mots qui racontaient une histoire de bonheur. Elles devenaient de plus en plus grandes car on n'impose pas de limites au bonheur. Il craignait juste encore parfois certains mots d'autrui, des regards en coin ou des gestes qu'il ne comprenait pas. De ces choses qui font mal comme les aiguilles des vaccins d'enfance. Le grand garçon maintenant solide comme un roc avait gardé des os de verre que les mots brisent.
Un jour, lorsque les toiles du grand garçon furent devenues trop grandes pour rester confinées chez lui il fallut bien leur faire prendre l'air. Elles furent emportées dans un espace grand comme une église et beau, très beau avec une lumière envoutante comme dans les lieux sacrés. Elles y furent délicatement accrochées, le grand garçon redevenu tout petit dans son corps n'osait même pas regarder...Le soir en ce lieu devait se tenir un spectacle chanté...Imaginez donc ses couleurs, ses mots unis à la musique! Le grand garçon assis au fond ne put ouvrir les yeux avant que la dernière note ne se fut éteinte. Deux larmes coulaient doucement sur ses joues. Une fois la salle vidée et silencieuse il osa enfin avancer et regarder mais il découvrit avec stupeur que ses toiles avaient auparavant été ôtées et remplacées par celles d'un autre.
Il retrouva les siennes rangées et emballées près d'une sortie annexe. Sans un mot le grand garçon comme un oiseau blessé et tremblant rentra chez lui. Il sortit très calmement les toiles sur le trottoir et méticuleusement une à une en brisa les châssis, en arracha les toiles, en tortura les couleurs. Elles gisaient là comme des corps éventrés après un carnage.
Toujours aussi silencieusement il gravit les escaliers pour regagner son nid d'aigle. Il ouvrit la fenêtre, écarta les bras et prit son envol....mais on lui avait coupé les ailes! Son corps se disloqua parmi ses toiles, peu à peu elles se couvrirent de différents rouges sous la lumière du soir ..un rouge vermillon ici, un carmin là ou un rouge de pyrrhole...Elles étaient superbes!..... Quand les secours arrivèrent ils trouvèrent un petit garçon avec un sourire au coin des lèvres étendu sur des restes de toiles.......Il venait finalement de comprendre que peu importe dans quelle direction vont les balles quand elles rebondissent.....
J'ai alors refermé mon carnet à spirales maculé de mes propres mots, j'ai eu une pensée fugace pour ce petit garçon qui venait de traverser ma nuit et paisiblement je me suis assoupi...C'est drôle parfois les rêves!
À bientôt
chris
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